Après « Neg Maron » et le « Gang des Antillais », le réalisateur français d’origine guadeloupéenne a choisi de raconter la vie d’une icône martiniquaise qui a été nommée psychiatre en Algérie pendant la colonisation française : Frantz Fanon. Un bio pic au cœur de la guerre d’Algérie où se livre un combat au nom de l’humanité. Dans les principaux rôles on retrouve Alexandre Bouyer et Deborah François, César du meilleur espoir féminin en 2009. Une large partie du casting est tunisienne dont Jamel Madani, Moncef Ajengui, Abdelkader Dridi. Jean Claude Barny a choisi la Tunisie comme terre de tournage pour six semaines. Nous l’avons rencontré entre deux prises.
Comment un banlieusard parisien a pensé à réaliser un film sur Frantz Fanon, le psychiatre martiniquais qui a exercé à Blida en Algérie… C’est un tour d’horizon ?
Je suis né en Guadeloupe et je suis arrivé très jeune dans la banlieue parisienne. J’ai découvert Frantz Fanon à l’âge de 14 ans dans une bibliothèque où il y avait toutes les figures émancipatrices avec les écrits de tous ceux qui croyaient à la lutte sociale. On était donc très proches de toutes ces revendications et j’ai évolué dans ce milieu-là. Syndiqué et impliqué très rapidement dans les mouvements humanistes. Film après film, j’ai développé une thématique autour de ma communauté antillaise et j’ai remarqué très rapidement que toutes les communautés émancipatrices avaient le même socle que l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et les autres pays colonisés. J’ai alors décidé que le dernier film devait se faire sur une terre maghrébine, en l’occurrence la Tunisie. 20 ans et 5 films plus tard me voilà sur le commencement de quelque chose et la fin d’autre chose.
Est-ce une manière de revisiter la question, encore et toujours sensible de la colonisation française ?
Tout à fait. C’est une manière pour nous aussi, d‘une façon légitime, de donner notre voix, notre regard à travers le cinéma sur l’histoire française. Il y a eu toujours des réalisateurs qui regardaient l’histoire racontée par l’Occident, mais il est important que nous, les communautés algérienne, tunisienne, marocaine, antillaise ou africaines, nous nous racontons à travers l’autre et pas en nous racontant contre nous. Le colonisé a aussi le droit de raconter son histoire.
Il s’agit de dire de quelle manière on voit l’Occident qui nous a colonisés sans faire de clans de bons et de méchants.
Dans ce film sur Frantz Fanon, vous allez raconter l’homme ou l’œuvre ?
Je vais raconter l’homme. C’est l’homme qui m’intéresse. Son œuvre littéraire est très connue, mais Fanon était aussi un homme incarné par une vraie grandeur humaine et par un combat politique, mais également par sa lutte contre la leucémie.
Vous continuez toujours à faire un cinéma qui exprime votre « caraeibité » ?
C’est une question que je me pose aujourd’hui. Quand on fait un film, est-ce qu’on n’a pas cette vision systématique ? C’est vrai que film après film, je vois que cette thématique de repenser mon côté ‘‘caraéibin’’ a été nécessaire parce que je n’ai pas une histoire commune à partager.
C’est une façon de dire : nous Caribéens descendants de la traite négrière nous avons aussi un parcours et un passé marqués par la souffrance. De 1 800 aux années 2000, nous sommes arrivés à tenir sur nos jambes et à parler de façon humaine et fédératrice. Nous ne sommes pas remplis par une sorte de passéisme aigri. Nous sommes sur un demain réparateur et fédérateur.
Vous racontez dans ce film l’engagement politique de Frantz Fanon aux côtés des Algériens pour leur indépendance ?
En effet et ce qui est intéressant, c’est le rapport de Frantz Fanon avec la lutte pour l’indépendance de l’Algérie et de quelle manière il a pu s’incarner dans cette lutte. Il a trouvé en Algérie ce souffle pour aller lutter auprès de ceux qui voulaient leur indépendance.
Qu’avez-vous retenu de Frantz Fanon ?
Une vraie grande douleur… Souvent, on voit les grands hommes figés à travers une image, sans savoir ce qui bouillonne dans leur intérieur. Ce qui bouillonne chez Fanon c’est une douleur où on a mis le mal de l’homme pour l’homme.